Groupe de personnes débattant

La démocratie sanitaire à l'épreuve de la Covid-19 : occasion manquée ou opportunité à saisir ?

Michel Naiditch

Il faut donc espérer (…) que l’État saura agir dans la durée de sorte que les dispositifs participatifs qui auront permis de donner naissance à des solutions innovantes et co-construites avec les citoyens s’inscrivent dans un cadre institutionnel renouvelé garantissant leur mise en œuvre.

Michel Naiditch
Médecin de Santé Publique, intervenant du Pôle ressources ETP Ile de France et chercheur associé à l’Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé (IRDES)

L'article a bénéficié de la relecture et des apports de Nicolas Brun (Union Nationale des Associations Familiales - UNAF), Marie Citrini (Créteil Respire à Cœur - CRAC et Fédération Française des Associations et Amicales d'Insuffisants Respiratoires - FFAAIR) et Thomas Sannié (Association Française des Hémophiles - AFH).

Introduction

Trente ans de mobilisation des associations de malades ont abouti, notamment à travers la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, à des formes spécifiques d’institutionnalisation de la représentation et de la participation des malades et de leurs associations à la gouvernance du système de soins. La question de leur impact réel par rapport aux objectifs des premiers promoteurs de la démocratie sanitaire et notamment de leurs résiliences face à la pandémie Covid-19, se pose.

Une manière d’y répondre est de se rapporter au projet politique de deux de ses premiers promoteurs. La formule globalisante du fondateur de Aides en 1987 (D. Defert) « le malade, réformateur social » en fournit un premier éclairage ; celle de Pierre Lascoumes, qui est l’un des chercheurs qui a le plus contribué à la conceptualiser, permet de la préciser : « il s’agit de construire des causes collectives communes qui participent pleinement de l’intérêt général » (1). Pourtant, dans sa gestion de la crise de la Covid-19, L’État a choisi de mettre à l’écart les dispositifs construits depuis la Loi de 2002 pour organiser la participation et la représentation des malades et de leurs associations (2). Par-là, l’État a ignoré les acteurs de la démocratie sanitaire en ne les considérant pas comme des alliés de droit dans cette situation de crise. Cette exclusion a touché en fait la société civile dans son ensemble. En témoigne le refus opposé par le gouvernement aux demandes du président du Comité scientifique essentiellement composé d’experts médicaux (3), de lui adjoindre un groupe de citoyens en appui dans la préparation des décisions reprenant ainsi une demande formulée antérieurement par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (4) et appuyées par plusieurs tribunes issue d’associations de la société civile (5)(6). In fine, la population a dû se plier à la décision de confinement non mise en débat et présentée comme la seule issue possible (ce qui restait défendable dans le contexte), en faisant appel au sens de la responsabilité individuelle de chacun. Cette mise à l’écart a aussi concerné le parlement ainsi que les élus territoriaux et toutes les structures de médiation classiques entre l’État et les citoyens.

D’où deux questions : quelles difficultés de nos pratiques démocratiques et plus spécifiquement de la démocratie sanitaire la crise de la Covid-19 a-t-elle accentuées ou mises en lumière ? Comment les associations de malades ont-elles réagi face à la crise et quelles perspectives s’offrent aujourd’hui à elles en termes de contribution à la construction d’une démocratie sanitaire rénovée ? Pour y répondre, nous commencerons par examiner sur quelles bases conceptuelles et pratiques, les associations opérant dans le champ de la santé se disent légitimes non seulement à représenter les intérêts de leurs mandants mais à participer ainsi à la construction de l’intérêt général. Puis nous montrerons en quoi ces objectifs s’inscrivent pleinement dans les dynamiques sociétales et politiques qui, dans les démocraties modernes, ont contribué à l’émergence de nouveaux modes d’élaboration de la représentation et de la participation en réponse à la nécessité de redéfinir l’intérêt général et les conditions de sa mise en œuvre. A partir de là, nous discuterons des forces et des faiblesses que la crise de la Covid-19 a mises en évidence au niveau de la démocratie représentative et de la démocratie sanitaire. Nous conclurons en évoquant les obstacles à surmonter pour permettre l’avènement d’une démocratie sanitaire rénovée.

En quoi les associations contribuent-elles à la formation de l’intérêt général ?

L’objectif des promoteurs de la démocratie sanitaire était de faire des associations de malades « un des creusets de la transformation des modalités de l’action publique dans le champ de la santé, en construisant les conditions de la production négociée de l’intérêt général dont elles sont porteuses » (7). Ce projet politique repose sur le pari qu’un certain type de travail réalisé notamment au sein des associations peut être le vecteur d’un dépassement de l’engagement subjectif identitaire et individuel des malades mis, en première intention, au service de la défense de leurs intérêts collectifs puis, dans un second temps, aboutissant à une position de citoyen mu par et agissant au nom de l’intérêt général.  

En ce qui concerne plus particulièrement les associations de malades, l’assise, à partir de laquelle leurs causes collectives se construisent, repose sur deux éléments. D’abord, un travail réflexif de chaque malade sur le sens à donner à l’ensemble de ses expériences de la vie avec la maladie, l’analyse critique de son ressenti subjectif individuel se traduisant alors par l’élaboration d’un ensemble de connaissances spécifiques lui permettant de gérer au mieux sa vie avec sa maladie : le savoir expérientiel individuel. Ce premier travail se double d’un second, collectif par nature, réalisé le plus souvent au sein des associations de malades. Chacun de ces savoirs individuels est soumis à discussion critique et à l’issue d’un processus de montée en généralité, vont émerger « des savoirs collectifs situés », véritable conceptualisation des expériences collectives de leurs groupes, devenus ainsi une « communauté épistémique » (8). C’est sur cette base que les associations, du fait de leur capacité à produire des argumentations spécifiques sur des situations de maladie, sont légitimes à être les porte-parole et représentants des malades et aptes à défendre leurs intérêts.

Ce qui confère une originalité et donne valeur d’exemple aux associations de malades est que ce travail a été rendu possible du fait de leur émancipation progressive vis à vis du pouvoir médical. Les Associations ont su tirer profit, pour le succès de leurs mobilisations collectives, des scandales sanitaires des années 1985-2005 (et notamment ceux du sang contaminé et de la clinique du sport). Ces scandales ont contribué à forcer le pouvoir médical à se confronter à l’émergence du pouvoir collectif des patients. En même temps, ils mettaient en évidence les limites de l’expertise des élites médico-administratives, questionnant leur prétention à décider seules sur des sujets intéressant notamment la sécurité sanitaire (9). D’où, une plus grande réceptivité de l’exécutif à prendre en compte les demandes des associations. Leur travail de conviction a aussi bénéficié du fait que les associations de malades ont su montrer qu’au-delà de la défense de leurs intérêts spécifiques, elles savaient aussi être porteuses de l’intérêt général. D’une part, en s’appuyant sur la loi de 1901 sur les associations, et un mode de fonctionnement démocratique, elles ont pu faire valoir et imposer leur légitimité à porter les intérêts de leurs mandants et notamment « les intérêts de la société civile insuffisamment pris en compte dans l’intérêt général » (1). Mais il y a plus : En parvenant dès 1996 à se fédérer avec d’autres types d’associations au sein d’un collectif informel, le Collectif Inter-associatif Sur la Santé (CISS), les associations de malades ont fait la preuve de la capacité à sortir de leurs particularismes. A travers lui, elles ont porté des problématiques transversales à chacune d’entre elles : accès à l’information, aux données de santé, participation aux décisions les concernant, etc. En parallèle, elles ont appuyé des causes intéressant l’ensemble des usagers : égalité d’accès pour tous au système de soins et aux traitements innovants ; accès à des soins de qualité ; lutte contre toutes les formes de discrimination, contre les inégalités sociales de santé et leurs déterminants, etc. (10).

Enfin, des caractéristiques du mouvement associatif aura été, et est toujours, de ne pas se contenter de porter des actions de plaidoyer ou de lobbying mais d’être aussi force de proposition à différents niveaux du système. Son souci dominant a été d’obtenir des changements concrets dans le fonctionnement du système de santé à un horizon pas trop lointain. A ce titre, un certain nombre de réalisations antérieures à la Covid-19 méritent d’être citées pour leur caractère structurant : participation de patients intervenants au sein des programmes d’éducation thérapeutique ; développement des patients experts, de patients enseignants à la formation des professionnels de santé ; participation à différents types de recherches notamment interventionnelles dans lesquelles les malades sont amenés à assumer pleinement un rôle de chercheur (11) ; engagement dans la construction d’espaces de réflexion favorisant les partenariats malades/professionnels avec pour visée la co-construction de dispositifs innovants de suivi des patients chroniques.

Un Etat jacobin qui tente de faire évoluer ses pratiques de gouvernement

Ce cheminement propre aux associations de malades fait sens et prend toute sa cohérence dès lors qu’on le situe dans une configuration politique en construction. Celle où les associations constituent l’un des creusets d’une nouvelle identité citoyenne moteur d’une réconciliation entre l’État et la société civile, cette dernière étant encadrée par un ensemble de nouveaux groupements intermédiaires dotés d’outils d’expertise et de registres d’action spécifiques (12). De fait, l’émergence d’une telle configuration résulte d’un ensemble de transformations des démocraties modernes qui touchent aux manières de concevoir la représentation démocratique et de définir l’intérêt général, qui réinterrogent les anciennes modalités d’exercice du pouvoir politique. Paradoxalement, ce sont ces dernières, c’est-à-dire la conception jacobine de l’art de gouverner qui ont été mobilisées dans la gestion de crise de la Covid-19 jusqu’au déconfinement. L’État y incarne l’intérêt général au titre d’une double légitimité : procédurale par le vote majoritaire et substantielle, la mise en œuvre de son programme s’appuyant sur l’action efficace de son administration constituée par l’ensemble de ses fonctionnaires. Ces derniers se doivent d’exercer leur magistère de façon désintéressée et neutre sous le statut protecteur du service public. Ils se considèrent comme les garants dans le temps du bon fonctionnement de la société, les concours de recrutement servant à asseoir leur légitimité sur une base méritocratique en réservant aux « meilleurs » les grands corps de l’état. Ce modèle d’inspiration « Saint Simonienne » a culminé lors des « 30 Glorieuses », donnant naissance à l’État jacobin centralisateur, modernisateur et providentiel (13). Même si depuis 1975, ce modèle semble avoir perdu beaucoup de sa force, il continue dans notre pays à imprégner les modes de pensée de l’administration notamment quand elle s’affirme seule légitime à représenter l’intérêt général en déniant la capacité et/ou le droit aux associations d’y concourir.

Mais raisonner ainsi revient à minimiser l’influence des évolutions sociétales qui font qu’aujourd’hui, les conditions de la participation des individus à la citoyenneté ont radicalement changé. Le modèle ancien de la citoyenneté exigeait, au nom de l’égalité, que chaque individu pour pouvoir servir l’intérêt général, se dépouille de ses particularités héritées. Dorénavant, c’est sur la base de l’affirmation de ses particularités librement choisies et subjectivement et inter-subjectivement habitées, que chaque individu revendique d’entrer sur l’espace public pour s’y faire entendre mais sans qu’il ait à faire l’effort d’épouser auparavant un point de vue d’ensemble (14). Ces évolutions entraînent une double difficulté pour les citoyens des démocraties modernes : celle d’être en capacité de lire une société de plus en plus complexe de façon à y trouver leur place ; celle de concevoir le sens de ce que pourrait être l’intérêt général (15). Cela oblige à repenser les termes dans lesquels l’impératif démocratique de l’intérêt général peut s’envisager ainsi que le(s) type(s) de dispositifs susceptible(s) de lui donner forme. En premier lieu, il s’agit de rendre lisible la société pour tous ses membres au moyen de dispositifs qui contribuent simultanément à la construction de leurs identités (16). Mais ce ne sont plus des identités stables et maîtrisées, réduites à des statuts socio-économiques fixes et antérieurement portées collectivement par les structures de médiation classiques de la démocratie sociale (syndicats, mutuelles, …), que les individus veulent voir reconnus. Aujourd’hui leurs identités apparaissent non stabilisées et multiples car répondant à des situations mouvantes résultant d’un ensemble de trajectoires souvent hachées et tissées par des expériences multiples (17). Il s’agit donc de concevoir des modes originaux d’exploration des identités sociales d’un ensemble d’individus qui leur permettent de partager leurs trajectoires de vie et leurs situations sur la base de leur expérience commune. C’est pourquoi la redéfinition des identités individuelles apparaît dépendante d’un travail de « mise en forme du social » par une « mise en représentation » des différents groupes d’appartenance (16). Travail d’autant plus nécessaire que ces derniers n’existent véritablement à leurs propres yeux (mais aussi aux yeux des autres) qu’à partir du moment où l’État les aura reconnus (c’est l’État réflexif). Celui-ci se doit donc d’agir de sorte qu’ils coexistent tous dans l’espace public et les traiter de manière égale (l’État impartial). D’où, l’attention portée aux minorités mais aussi l’importance prise de la dimension procédurale de la politique au détriment de sa dimension substantielle (18). La réalisation de ces objectifs suppose alors l’organisation de multiples espaces de débats (démocratie délibérative) et de mise à l’épreuve de ces groupes au sein de dispositifs spécifiques (démocratie participative) afin de construire de manière continue les règles organisant la coexistence de ces groupes et donner ainsi forme et sens au « Nous ». C’est de ce travail politique de la « reconnaissance » que peut alors émerger un intérêt général conçu comme « une généralité d’attention aux particularités » car intégrant l’ensemble des demandes/attentes des différents groupes en concurrence (13).

Enfin et au-delà de cette attention à ces nouveaux collectifs, l’État pour tenter de neutraliser le sentiment de défiance du peuple envers des élites jugées trop éloignées de lui, se doit aussi de manifester son empathie face aux situations concrètes de chaque individu afin de produire un mouvement d’adhésion, lui conférant une « légitimité de proximité ». Une revue rapide des articles publiés dans les médias montrerait que l’ensemble de ces registres du travail politique a été mobilisé dans la communication gouvernementale après la période de confinement. Cette analyse montre aussi combien le programme politique des associations de malades est en phase avec les évolutions de la représentation tout comme l’est leur affirmation que leurs actions sont contributives de l’intérêt général. Or dans la mesure où ces dernières reposent sur des capacités délibératives, cognitives et réflexives fortes que pour les raisons exposées antérieurement les élites administratives ne sont pas prêtes à véritablement leur reconnaître, la légitimité de la valeur des contributions des associations animant la société civile est loin d’être perçue comme une évidence par l’appareil politico-administratif qui hésite en permanence entre des registres d’action de type autoritaire et ceux de nature plus inclusifs (19). D’autant qu’une difficulté plus structurelle vient obérer sa capacité réelle à adapter ses modes d’intervention : celle de la remise en cause de sa position de maitre d’œuvre de la construction de la norme commune du fait de la prépondérance du référentiel du marché. La solution des élites du capitalisme financier pour assurer l’ajustement automatique de la composition des intérêts légitimes mais divergents s’exprimant au sein de la société a été de s’en remettre à la main invisible du marché (20).

Pour Alain Supiot, la pensée néolibérale repose en effet sur « la foi en un ordre spontané du marché » appelé à régir l’ensemble du globe (d’où sa qualification par Marcel Gauchet « d’utopie antipolitique ») (21). En plaçant l’État sous l’égide des calculs d’utilité économique, elle le réduit à être un simple instrument de mise en œuvre des « lois naturelles » révélées par la science économique. Cette idéologie a abouti selon Marcel Gauchet à une forme « d’intériorisation de nature anthropologique » du modèle du marché touchant les ressorts intimes de chaque individu. L’utilité a exclu le don. La concurrence a désarmé la coopération. La méfiance a pris le pas sur la confiance. Le devoir de désintéressement qui définissait l’homme public a conduit insensiblement à ce que celui-ci s’aligne sur son intérêt privé dans le même temps que le citoyen se transformait en consommateur avisé (22).

Les effets politiques de la pandémie de Covid-19

En quoi ce nouveau rôle de l’État et notamment dans le domaine sanitaire, a-t-il été affecté par la pandémie de la Covid- 19 ?    

Les effets du Covid-19 sur les modalités d’intervention de l’état

L’irruption de la pandémie constituait un évènement prévisible et donc anticipable (23). L’État l’a pourtant mal intégré dans ses procédures ce qui a placé notre société face à un ensemble de risques sanitaires, sociaux et économiques incommensurables. D’où le recours à l’État social vertical protecteur « garant en dernier ressort de la part d’incalculable de nos vies » et indispensable pour que « puisse se déployer librement le plan horizontal des échanges sociaux et marchands entre les individus » (21).

Sa première conséquence a été le retour brutal des anciennes pratiques jacobines de gouvernement notamment lors de la période de confinement, mais une fois passé ce moment du confinement, plus que la fragilité « des chaines de valeur » issues de la globalisation et la nécessité de les reconstruire sous une forme plus résiliente car territorialisée ce que la Covid-19 a mis d’abord en évidence c’est toute la richesse du capital à la fois matériel et immatériel que constitue un État social protecteur fort capable de produire les nécessaires politiques de solidarité et que le système de régulation marchand s’avère incapable de réaliser (en aggravant les inégalités de toute nature) (24). Il peut le faire à partir de ses trois piliers : les droits du travail et de la protection du travailleur ; la sécurité sociale ; les services publics qui permettent de mettre à disposition des citoyens un certain nombre de biens et services essentiels et notamment ceux relatifs à la santé dans des conditions d’égalité, de continuité et d’accessibilité en les soustrayant aux lois du marché. Dans un second temps, du fait de la nécessité de devoir gérer dans le temps le processus de déconfinement dans un contexte de crise économique et sanitaire destiné à durer, l’État a donc été amené à se tourner vers une conception plus participative et décentralisée de l’exercice du pouvoir en faisant appel aux ressources politiques et administratives des territoires et à la participation de la société civile. Mais là aussi avec beaucoup d’hésitation sur la manière de les associer (25) témoignant ainsi (18) des difficultés des politiques à intégrer la démocratie sanitaire dans la gouvernance du système de santé.

Les effets de la Covid-19 sur les associations de malades

Comprendre la manière dont la crise de la Covid-19 a influé sur les pratiques de la démocratie sanitaire, notamment du point de vue des associations, exige de revenir succinctement sur l’ensemble de la période qui va de la tenue des État généraux de la santé en Juin 1999 jusqu’à l’irruption de la pandémie. En effet, si sur le plan des droits individuels, les associations ont obtenu l’essentiel de ce qu’elles revendiquaient, leurs succès sur le plan collectif a été plus limité, notamment s’agissant des ressources allouées à la formation des représentants ou en matière d’impact de leur présence au sein des établissements de santé sur les enjeux de qualité et sécurité des soins. Les causes de ces retards sont en partie à rechercher dans un contexte politique et social qui est loin d’avoir été celui très favorable aux combats des associations de malades qui couvre la période qui va du début de l’épidémie du Sida jusqu’à la signature de la loi en Avril 2002 (26). Car une fois la loi promulguée puis le problème de l’agrément réglé en 2003, les 15 ans qui ont suivi ont été marqués par une succession d’avancées et de régressions. Aux alentours des années 2010, il est notamment apparu, à certains, que la structuration associative et le mode informel de fonctionnement du CISS constituaient un frein au développement institutionnel de la démocratie sanitaire. S’est alors posée la question des modalités de représentation des associations au niveau national et donc du statut de ses composantes régionales et de leur degré d’autonomie par rapport au centre. Après une période durant laquelle les structures régionales ont été relativement libres de choisir leurs actions territoriales et de rechercher des financements complémentaires, a succédé une phase de recentralisation de leur financement et des décisions par le centre, fondée sur la volonté de développer la capacité d’action du mouvement associatif. C’est cette dernière conception qui a prévalu après des débats houleux lors de la création de l’UNAASS en 2015 (identifiée depuis 2017 sous l’appellation de « France Assos Santé » (FAS)), création qui répondait à une demande formulée dans le rapport de Claire Compagnon (27). La FAS voit donc son existence inscrite dans le premier article de la loi de santé de 2016. Il faut ici signaler que certains fondateurs du CISS, (tout comme une minorité des membres du groupe de travail) étaient hostiles à un tel mode centralisé de formalisation de la représentation. D’abord ils pensaient qu’en ne fédérant que les associations agréées, il y avait un risque fort de ne voir la dynamique de créativité associative qu’à travers les apports de ces dernières alors que de nombreuses associations non agréées agissent au niveau local pour tenter de fonder une démocratie sanitaire de proximité. Ils craignaient par ailleurs que sa création n’aboutisse à une structure bureaucratique, certes puissante du fait qu’elle soit la seule habilitée à défendre les intérêts transversaux des usagers et à disposer de ressources conséquentes, mais en conséquence fragile politiquement car totalement liée à l’État. Ils craignaient aussi un déficit de débat entre son niveau national et les régions du fait du contrôle exercé par le premier sur leur budget. De fait si certains articles de la loi de santé de 2016 ont depuis permis quelques avancées, la représentation continue à être de qualité inégale, souvent plus formelle qu’effective au niveau régional et local avec la possibilité de « prime » aux notabilités et/ ou aux représentants « alibis » alors que les questions du statut des représentants et donc de leur financement demeurent irrésolues. D’où le risque souligné par certains analystes de fossilisation de la représentation, faute de renouvellement des candidats notamment en termes de générations, d’un affaiblissement de la dynamique associative voire du risque de son instrumentalisation par l’État (28).

Pourtant, en dépit de ces craintes et de sa mise à l’écart par les pouvoirs publics, la dynamique associative pour accompagner les personnes concernées par un handicap ou une maladie s’est avérée très forte dès le début de la période de confinement. Les associations sur le terrain ont su développer à bas bruit une série d’actions afin de soutenir leurs communautés respectives : d’abord en leur apportant des informations médicales et sociales adaptées à leur contexte de vie en complément de celles plus générales en provenance des autorités de santé : par l’ouverture de ligne téléphonique, d’adresse mail dédiée, d’organisation de webinaires d’information, parfois co-construits avec des professionnels de santé ; par l’édition de bulletins d’information, de newsletters ; mais aussi par la mise en place d’actions d’éducation thérapeutique à distance et de rencontres par visio-conférence réunissant la communauté, d’organisation d’ateliers d’activité physique adaptée, de diverses actions de supports pour les personnes les plus en difficulté. A ces initiatives de terrain, sont venues s’ajouter celles en provenance des structures de représentation au niveau régional et national. Aux dires de certains des membres de FAS, la survenue de la pandémie a montré notamment que des capacités de débats démocratiques persistaient au niveau national. En témoigne le fait qu’avant même le confinement mais encore plus durant toute la durée de celui-ci, de nombreuses réunions de son réseau (3 par semaines pendant 2 mois) par voie numérique ont été organisées avec à chaque fois plusieurs dizaines de participants. Elles ont permis d’aboutir à un certain nombre de recommandations dont certaines ont été reprises par les agences sanitaires au niveau régional ou par l’assurance maladie au niveau national permettant diverses avancées : mise à disposition de médicaments dans les pharmacies de ville, prolongation du délai de validité des ordonnances, arrêt de travail pour les aidants de personnes en situation de handicap et les personnes handicapées salariées ou en affection de longue durée. Par ailleurs la communication initiale inadaptée du gouvernement vis-à-vis des malades chroniques a pu être utilement réajustée en permettant de faire revenir dans le système de soins une partie des nombreux malades qui s’en étaient écartés. Les Associations ont donc agi en informant et accompagnant des millions de personnes malades chroniques en complément des pouvoirs publics et des professionnels. Pourtant force est de constater que toutes ces actions ne semblent pas avoir été reconnues à leur juste valeur par l’État comme l’a montré la place relativement modeste qui leur a été concédée dans le déroulement du Ségur de la santé. Cette absence d’alliance et de coopération montre bien l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir pour que l’État acquière la maturité suffisante pour faire des acteurs de la démocratie sanitaire de réels partenaires (25).

Vers une démocratie sanitaire rénovée ?

Concept mis en mot lors de la journée finale des États généraux de la santé et institué par la loi du 4 Mars 2002, la démocratie sanitaire apparaît aujourd’hui à un tournant de sa jeune histoire. Bien qu’elle ait donné naissance à une multitude d’actions innovantes, elle peine à se déployer pleinement et à se rapprocher par ses réalisations, de l’« utopie réaliste » que constituait son projet politique initial. 18 ans après la signature de la loi, ou en sommes-nous ?

De l’ensemble des constats liés à la situation créée par la Covid-19, apparait d’abord la nécessité de refonder le lien social et la notion de citoyenneté sur une base autre que celle du référentiel de marché et du consommateur informé. Ceci passe par un travail de reconstruction des identités individuelles et collectives permettant de recréer un monde commun peuplé de citoyens solidaires. Nous avons vu que le programme politique initial de la démocratie sanitaire s’inscrivait dans cette conception. Mais quelles sont les conditions pour y parvenir ?  On peut espérer que la dynamique inter associative saura résister à l’épreuve du « Ségur » dont la centration sur l’hôpital et la question des rémunérations des professionnels de santé ne facilitait pas l’atteinte des objectifs plus larges que les associations ont néanmoins tenté de porter au travers des nombreuses contributions qu’elles ont soumis aux différents groupes de travail. Mais surtout le « sursaut d’expression démocratique de la représentation » qu’a induit la Covid-19 doit être l’occasion pour les associations membres de l’UNASS en tant que porteur politique de la démocratie sanitaire, de s’attaquer à un ensemble d’enjeux qui répondent à la fois à leur mission et à la nécessité de contribuer à l’expression d’une représentation démocratique authentique. Pour se faire, le mouvement doit relever des défis sans cesse renouvelés : faire vivre le débat démocratique à tous les niveaux (entre associations et entre niveaux territoriaux), être attentif aux besoins, attentes, revendications des associations non-membres de FAS, inscrire le développement de la démocratie sanitaire dans celui visant l’approfondissement de la démocratie. Concernant ce dernier point, nous avons déjà mentionné le fait que l’État semblait avoir entamé un retour vers la société civile pour qu’elle l’aide à construire des solutions aux nombreux problèmes sanitaires mais aussi sociaux en suspens. A ce titre et tout en s’astreignant à systématiquement solliciter en situation de crise les avis des instances légales de représentation des usagers, l’État doit continuer à apprendre à tirer profit du travail associatif. Ce qui suppose notamment qu’il reconnaisse le pouvoir de créativité de leurs savoirs et expertises spécifiques. Ceci implique de sa part une « révolution culturelle » d’envergure quand on connaît sa méfiance pour les structures de médiation. Mais ce qui implique aussi au niveau des territoires que le même mouvement soit engagé. C’est généralement plus facile dans les territoires dits prioritaires, tant l’importance des difficultés sociales nécessite de mobilisations associatives et citoyennes pour potentialiser la mobilisation des collectivités territoriales et de leurs partenaires institutionnels ou professionnels que ce soit à travers les Contrats Locaux de Santé et Conseils Locaux de Santé Mentale ou en lien avec les Ateliers Santé Ville (29). Les mêmes questions de gouvernance se posent au niveau régional, qu’il s’agisse des ARS (Le gouvernement semble vouloir renforcer le rôle des CRSA voire en faire un véritable parlement régional) ou des préfectures. Il faut donc espérer que ce mouvement de retour de l’État vers la société civile ne traduise pas de sa part une simple manœuvre opportuniste mais que l’État saura agir dans la durée de sorte que les dispositifs participatifs qui auront permis de donner naissance à des solutions innovantes et co-construites avec les citoyens s’inscrivent dans un cadre institutionnel renouvelé garantissant leur mise en œuvre.

Ressources documentaires

Bibliographie

Bibliographie de l'interview et ressources pour aller plus loin

Groupe de personnes débattant

Dossier Participation des habitants-usagers-citoyens