Enfants collaborant autour d'une carte au trésor

La psychologie positive au service de la promotion de la santé mentale

Photo de Rebecca Shankland

Au niveau de l’individu, les interventions de psychologie positive visent notamment à aider les personnes à identifier leurs forces et à les utiliser davantage dans leur quotidien. Une partie des processus mobilisés dans ces interventions rejoint le développement des compétences psychosociales.

Rebecca Shankland
Maître de Conférences en Psychologie, responsable du DU Psychologie Positive Université Grenoble Alpes, chercheure au Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie : Personnalité, Cognition, Changement Social (LIP/PC2S)

Les domaines de recherche de Rebecca Shankland portent sur la promotion de la santé mentale par le biais de l’identification et l’utilisation des ressources personnelles et du développement des compétences psychosociales, en particulier les compétences émotionnelles. Ses travaux portent notamment sur la conception, la mise en œuvre et l’évaluation d’efficacité d’interventions basées sur des pratiques de pleine conscience et de psychologie positive.

Quel lien peut-on faire entre la psychologie positive et les compétences psychosociales ?

La psychologie positive constitue une orientation récente en psychologie, proposant une étude plus systématique et approfondie des conditions et des processus qui favorisent l’épanouissement ou le fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions (définition proposée par Gable et Haydt en 2005). On entend par fonctionnement optimal la possibilité d’accéder à ses ressources personnelles de manière optimale pour faire face aux situations rencontrées. En fonction de son métier, il est possible d’agir au niveau des individus, des groupes ou des institutions elles-mêmes pour favoriser la promotion de la santé mentale.

C’est sur cette dimension de promotion de la santé mentale que la psychologie positive rejoint le développement des compétences psychosociales. En effet, au niveau de l’individu, les interventions de psychologie positive visent notamment à aider les personnes à identifier leurs forces et à les utiliser davantage dans leur quotidien. Une partie des processus mobilisés dans ces interventions rejoint le développement des compétences psychosociales.

Tout d’abord, le travail proposé sur l’identification et l’utilisation des forces de caractère (les siennes et celles des autres) telles que définies par Christopher Peterson et Martin Seligman sur la base d’études menées dans 40 pays différents, permet le développement de certaines compétences psychosociales comme la meilleure connaissance de soi et d’autrui. De plus, le choix de développer certaines forces en particulier se recoupe directement avec les compétences psychosociales, par exemple la créativité, le jugement (pensée critique) ou la résolution de problèmes.

Mais ce qui me semble plus important encore ce sont les processus sur lesquels la psychologie positive agit et qui peuvent contribuer au développement des compétences psychosociales.

  • Les interventions de psychologie positive visent la réorientation de l’attention vers les aspects positifs ou satisfaisants de la situation pour mieux y faire face. A titre d’exemple, on peut proposer aux personnes de noter chaque soir trois choses positives qui se sont passées au cours de la journée. L’objectif n’est pas de nier les autres aspects, mais de prendre conscience de ce qui sinon passerait inaperçu. Ces aspects satisfaisants contribuent à donner davantage de sens à la vie, augmentent le sentiment de proximité sociale, le sentiment de compétence. Ces dimensions favorisent non seulement des émotions positives, mais contribuent au bien-être durable.
  • Les émotions positives sont utiles pour mieux faire face aux situations difficiles. Les recherches ont mis en évidence que grâce à ce type d’émotions, les individus perçoivent davantage d’éléments du contexte, ont davantage accès à leurs ressources, ce qui leur permet de mieux résoudre les problèmes. Ainsi, les interventions de psychologie positive peuvent agir en complément des interventions ciblant les compétences psychosociales. Pour aller plus loin, il serait nécessaire de mener des recherches pour identifier les effets bénéfiques de ces interventions auprès de participants bénéficiant des deux types de programmes.
Vous avez conduit plusieurs recherches-actions en milieu scolaire sur ces questions. Quels sont les principaux enseignements et impacts que vous avez pu observer ?

Nos recherches ont porté sur des interventions de psychologie positive et pleine conscience [1] en primaire et collège. Les articles scientifiques concernant ces études n’ont pas encore été publiés, donc je vous rapporte ici quelques éléments clés présentés lors de congrès et qui rejoignent d’autres travaux réalisés dans ce champ dont vous pouvez trouver une synthèse dans un article que nous avons publié en 2016 (disponible sur demande).

Parmi les interventions dans le champ de la psychologie positive, les plus efficaces sont celles centrées sur les forces, les pratiques de développement de la pleine conscience, de la gratitude et de la coopération. Nous avons adapté les pratiques autour de la gratitude à des enfants de primaire et de collège. Les résultats de nos recherches ont mis en évidence la faisabilité et l’acceptabilité de ces pratiques auprès d’élèves de primaire, mais moins auprès d’élèves de collège. Les effets en primaire montraient une augmentation du sentiment de vitalité et de l’humeur positive des élèves.
Concernant les pratiques favorisant le développement de la présence attentive, nous avons constaté que les interventions plus efficaces étaient celles qui comprenaient l’intervention d’un professionnel extérieur, formé à ces pratiques, et l’implication de l’enseignant pour relayer ces pratiques au quotidien. Le programme que nous avons développé, appelé FOVEA et basé sur la méthode Vittoz, a mis en évidence des effets bénéfiques sur des compétences d’apprentissage et des compétences psychosociales, comme le résume le chapitre publié en 2016 sur les effets des pratiques de pleine conscience en milieu scolaire sur le développement des compétences psychosociales.

D’après les travaux que vous avez pu conduire, quelles sont les approches à mettre en œuvre pour former les enseignants et leur permettre de s’approprier les programmes liés aux CPS et à la psychologie positive ?

Depuis trois ans, nous proposons des formations pour les enseignants en concertation avec l’inspection de l’académie autour de la motivation et du bien-être au collège (formation POMOBE [2] : promotion de la motivation et du bien-être à l'école). L’objectif de ces formations est, dans un premier temps, de permettre aux enseignants de découvrir par eux-mêmes les pratiques de pleine conscience et de psychologie positive afin d’entrevoir les bénéfices potentiels pour eux-mêmes et pour leurs élèves.

Il s’agit pour l’instant de formations organisées sur trois journées, séparées de plusieurs semaines au cours desquelles il est proposé aux enseignants d’expérimenter ces pratiques d’abord pour eux-mêmes, dans leur quotidien, puis au sein de leurs classes s’ils le souhaitent. Les recherches menées sur ces interventions (rapports annuels de recherche accessibles sur demande) ont montré un effet sur la réduction du stress des enseignants, et un effet sur le bien-être des élèves les plus en difficulté.

Pour améliorer le dispositif de formation, nous avons ajouté à l’une de nos formations, un temps de travail pratique portant sur la conception de séquences pédagogiques s’appuyant sur les modèles issus de la psychologie positive. L’accent est mis sur la théorie de l’autodétermination, qui postule qu’en répondant aux besoins psychologiques fondamentaux des élèves cela augmente la motivation autodéterminée et le bien-être des élèves. Les besoins psychologiques fondamentaux sont au nombre de trois :

  • sentiment d’autonomie : se sentir à l’origine de ses choix ou comprendre le sens des actions qu’il nous est demandé de réaliser
  • sentiment de compétence : se sentir à même de faire face aux situations rencontrées, qu’elles soient relationnelles ou pédagogiques
  • sentiment de lien social : se sentir proche des autres élèves de la classe, se sentir intégré et accepté tel que l’on est dans le cadre scolaire

Un travail est proposé avec les enseignants pour identifier différentes manières de répondre au mieux à ces besoins dans le cadre scolaire. Cela nécessite non seulement des idées, mais aussi des compétences pour favoriser un style interactionnel répondant au mieux à ces besoins. Les pratiques de pleine conscience constituent alors une ressource utile aux enseignants, leur permettant de développer des attitudes et comportements allant dans le sens de ce qu’ils souhaitent pour leurs élèves. Les pratiques de psychologie positive constituent des supports d’activités à intégrer dans des séquences pédagogiques afin d’améliorer la coopération, le soutien, le respect mutuel.

Toutefois, les trois jours de formation semblent insuffisants pour atteindre l’ensemble des objectifs en termes d’efficacité concernant la motivation et le bien-être des élèves. Il serait utile de prévoir une formation plus longue et des journées de regroupements annuels avec les enseignants souhaitant réaliser un partage d’expérience et s’enrichir des interventions menées par d’autres collègues.

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Dossier Compétences psychosociales des enfants et jeunes ados (3-15 ans)

Notes:

  • [1] . Pleine conscience (ou mindfulness, ou présence attentive) : se réfère à l’idée d’être conscient de ses pensées, émotions, sensations corporelles ou de son environnement, et cela sans jugement [ANSP, Juin 2017]. Les bénéfices d’une pratique de la pleine conscience chez les enfants et les jeunes sont variés. L’entrainement à l’attention au moment présent tend à réduire l’hyperactivité, le stress, à améliorer les capacités de concentration et d’apprentissage Klatt, Harpster, [WHITE et CASE-SMITH, 2013], ainsi que la santé mentale et la réussite scolaire [KUYKEN W., WEARE K., UKOUMUNNE OC. et al., 2013]
     
  • [2] . Programme de formation et projet de recherche-interventionnelle coordonné par Damien Tessier et Rebecca Shankland de l'Université Grenoble Alpes, avec la collaboration de Béatrice Imbert, formatrice en pleine conscience et psychologie positive