Les inégalités de santé dans la région Île-de-France

photo Luc Ginot

Les inégalités de santé sociales se projettent sur les territoires d’une manière extrêmement forte. Et on a donc des contrastes territoriaux qui traduisent des contrastes sociaux extrêmement élevés.

Dr Luc Ginot
Directeur de la santé publique à l'Agence régionale de santé d'Île-de-France

Cette interview est extraite d'une séquence du e-parcours en promotion de la santé, module d'e-learning construit par Promotion Santé Ile-de-France en 2022.

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Quelles sont les spécificités de l’Île–de-France ?

Les inégalités de santé en Île-de-France, c’est, évidemment, la priorité de l’Agence Régionale de Santé.

Le premier point, c’est que d’abord, l’Île-de-France, comme tout le monde le sait, est une région riche, avec un très bon état de santé globale. Mais c’est également la région la plus inégalitaire, probablement, d’Europe, avec des écarts de santé tout à fait considérables, puisque les espérances de vie entre les hommes de certains cantons peuvent aller jusqu’à six ans, ce qui est tout à fait insupportable.

 

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L’incidence du diabète varie de 1 à 2, avec en particulier une incidence très forte dans les territoires en Politique de la Ville.

C’est également une région dans laquelle les inégalités de santé sont redoublées d’inégalités dans l'accès aux soins, puisque le système santé est réparti de façon encore très inégalitaire sur le territoire, avec, en particulier, une forte représentation du centre de Paris, de plus grandes difficultés, soit dans les territoires populaires, soit en grande couronne.

 

 

Et il y a également deux spécificités, peut-être, à cette région.

  • La première, c’est que les inégalités de santé sociales se projettent sur les territoires d’une manière extrêmement forte. Et on a donc, des contrastes territoriaux qui traduisent des contrastes sociaux extrêmement élevés que nous connaissons. Avec en particulier, des écarts entre la Seine Saint-Denis ou d’autres territoires populaires, le Val d’Oise, ou certains quartiers de Paris, ou certaines zones de la Seine et Marne. Et ça se traduit également, de ce point de vue-là, par une forme de ce qu’on peut appeler une ségrégation urbaine, c'est-à-dire le fait que les contrastes urbains induisent des contradictions entre les différents intérêts des différents quartiers.
  • Et la deuxième caractéristique de cette région, c’est qu’en dehors des inégalités, ou en adjonction aux inégalités, nous sommes confrontés à un phénomène de grande précarité massive qui a probablement peu d’équivalent dans d’autres régions. Avec en particulier, une grande précarité liée à l’absence de logements. Il faut savoir que des dizaines de milliers de personnes, toutes les nuits, sont hébergées par les services de l’État, dans des hôtels, dans des centres d’hébergement, dans des centres d’urgence. Cette précarité liée au logement induit de vrais impacts sur la santé et elle est en lien, mais pas uniquement, avec une précarité liée au parcours migratoire, puisque l’Île-de-France accueille des milliers de personnes qui sont issues de migrations liées, en particulier aux guerres civiles, liées aux violences, liées au changement climatique, dans certains cas.

Donc, c’est, finalement, les deux caractéristiques de cette région : de grands écarts sociaux qui sont redoublés par une population dans une situation de grande précarité qui, évidemment, accroît les écarts sociaux.

Quel impact du Covid-19 sur les inégalités sociales de santé en Île-de-France ?

Le deuxième point est, finalement, de se dire : après le Covid - puisqu’on a beaucoup parlé d’inégalités pendant le covid -, qu’avons-nous appris du Covid ? On peut se dire que, finalement, en Île-de-France, l’Agence Régionale de Santé n’a pas été prise au dépourvu, non par le Covid lui-même, mais par les écarts de santé qu’a révélé le Covid. En fait, on a quand même appris beaucoup de choses. Malheureusement…

La première chose qu’on a appris, c’est d’abord que la protection sur laquelle nous avons mis tous nos efforts, la protection des plus exclus, des plus défavorisés, des personnes à la rue, a porté ses fruits. Elle a permis que ces personnes ne soient pas outre mesure, touchées par le Covid, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. Mais elle n’a pas permis d’enrayer les phénomènes d’inégalités au sein de la population générale.
Et on a donc constaté à l’issue du Covid, tout le monde le sait, les écarts de mortalité, complètement majeurs entre les territoires et, du coup, entre les catégories sociales, notamment entre la Seine-Saint-Denis mais pas uniquement la Seine-Saint-Denis, et le reste de la région. Avec des écarts de mortalité liés au Covid qui ont pu aller dans certaines communes jusqu’à 2,5 à 2,6 plus qu’ailleurs, ce qui est quelque chose qu’on avait peu rencontré dans les situations précédentes.

 

La deuxième chose qu’on a appris à travers ça, c’est que, finalement, les inégalités sociales de santé qui étaient un concept que l’Agence portait très fortement, mais sur lequel on était, parfois, un peu isolés, parfois un peu seuls… , ces inégalités sociales de santé sont devenues quelque chose dont, aujourd’hui, tout le monde est conscient : les élus, les journalistes, les hommes politiques, ce qu’on appelle la société civile. C’est donc quelque chose qui est très partagé par l’ensemble de la société en Île-de-France.

Et ce qu’on a appris, également, c’est qu’on a bien mesuré que ce qui a fait ces inégalités autour du Covid, ce n’est pas les inégalités d’offre de soins, puisque les inégalités d’offre de soins ont été, d’une certaine façon, compensées par les décisions de l’Agence, du système de soins. Puisque, par exemple, il y a beaucoup moins de lits de réanimation en Seine-Saint-Denis qu’à Paris, mais, les enquêtes le montrent, ça n’est pas à cause du manque de lits de réanimation en Seine-Saint-Denis que les gens sont davantage décédés en Seine Saint-Denis qu’ailleurs, c’est pour un certain nombre de facteurs.
La leçon supplémentaire que nous avons appris du Covid, ce n’est pas vraiment une leçon, c’est une confirmation : le fait que les déterminants sociaux de santé, ça n’est pas un concept, ça n’est pas uniquement une invention de l’Organisation Mondiale de la Santé, c’est quelque chose de très concret.
A l’occasion du Covid, les habitants les plus précaires, ou pas forcément les plus précaires, mais également des habitants confrontés à de simples difficultés sociales, ont vu leur situation aggravée par les difficultés liées au logement, les difficultés liées à l’emploi avec, en particulier, ces deux grands déterminants. On a bien vu que l’emploi mal protégé, l’emploi précaire, l’emploi sur lequel les personnes étaient inquiètes, conduisait, d’une part, à une exposition, et d’autre part, à, des fois, la crainte, par exemple, de se faire dépister, de peur de perdre son emploi, de peur de perdre son salaire. Et de la même manière, le fait d’être dans un logement pas forcément insalubre, un logement surpeuplé, un logement de mauvaise qualité, un logement dans lequel on était, à l’occasion du confinement, un peu contraint, ça a, là encore, été un facteur aggravant, non seulement de l’épidémie, mais aussi des conséquences de l’épidémie.
Donc, finalement, sur le covid, on a appris ces éléments-là, c'est-à-dire que les inégalités sont une vraie réalité violente et que cette réalité est d’abord liée aux conditions de vie.

 

Et puis, on a appris une dernière chose, avant de terminer sur le Covid. On a appris que, finalement, les choses étaient extrêmement intriquées. Ce qui fait qu’il y a eu une surmortalité, c’est le fait que les gens, dans certains territoires populaires, étaient exposés à des conditions de vie, de logement, plus difficiles, mais également, étaient exposés à un diabète, à une obésité, à un surpoids plus fréquent. Et donc, l’interaction entre les déterminants sociaux, une pathologie et d’autres pathologies, est une interaction extrêmement complexe qui nécessite une intervention de la part de l’Agence qui s’est voulue multiforme et qui s’est voulue essayant d’intervenir sur l’ensemble de ces facteurs.

Comment agir sur les inégalités sociales de santé ?

Qu’est-ce qu’on fait avec ces données-là ? Je crois qu’il y a deux écueils dans lesquels il ne faut pas tomber. Le premier, c’est de considérer qu’on n’a rien fait ou qu’on ne fait pas assez. Et le deuxième, c’est de considérer que, finalement, les inégalités étant liées aux déterminants, on ne peut rien faire. Or, en fait, on peut faire et on peut mieux faire que ce qu’on a fait.

Je crois que, finalement, pour nous, Agence de Santé, et pour nos partenaires, il y a deux grands axes et deux grandes polarités autour desquelles s’organise notre action.

La régulation

La première, c’est la polarité de réduction par la régulation. C'est-à-dire que, oui, nous sommes les Agences Régionales de Santé, et nous avons la responsabilité de réguler les moyens que nous attribuons en fonction des inégalités de santé ; c’est ce que nous faisons. L’exemple le plus frappant : lorsque nous avons dû attribuer, en lien avec les préfets, les doses de vaccins, nous avons fait le choix de surdoter les territoires populaires parce que nous considérions qu’il y avait urgence à vacciner davantage ces territoires qui étaient plus en difficulté que d’autres. Donc, d’une certaine façon, nous avons une responsabilité qui est une responsabilité d’attribuer des moyens prioritairement sur les territoires qui ont le plus de besoins. Et c’est ce que nous essayons de faire, notamment, avec le Projet régional de santé qui est un élément extrêmement structurant pour nous.

On pourrait également dire qu’une de nos responsabilités qui est partagée avec nos partenaires, c’est le fait d’avoir des systèmes d’information qui permettent de mesurer les inégalités de santé. Un des problèmes que nous avons en France et l’Île-de-France n’échappe pas à cette donnée-là, c’est le fait que pour lutter contre les inégalités, il faut encore les mesurer, les comprendre, et que les systèmes d’information ne permettent pas toujours d’identifier ces inégalités.

Donc, finalement, le premier axe, c’est d’assumer nos responsabilités propres d’une puissance publique, d’un service public, qui attribue ses moyens en fonction des besoins des populations et qui régule en fonction de ses besoins.

Coalition et alliances

Et puis, le deuxième axe, c’est un axe qui est beaucoup plus développé, probablement, dans le champ de la santé publique, qui est ce qu’on pourrait appeler une logique de coalition et d’alliance, qui consiste à dire : tout seuls, nous n’arriverons pas. Nous n’arriverons pas, ne serait-ce que parce que ce que nous régulons c’est le système de santé, et qu’on sait que le système de santé, il contribue aux inégalités éventuellement, mais qu'il n’en est pas la cause principale. Et donc, on a besoin de travailler avec d’autres.

On va se donner un exemple… A l’occasion du Covid, mais largement depuis, nous travaillons avec les bailleurs sociaux dont on peut dire, finalement, dans le champ de la santé, qu’est-ce qu’ils ont à en connaître ? Ils ont à en connaître beaucoup, parce que c’est chez eux que les habitants, souvent, en situation de fragilité demeurent. Et c’est aussi avec eux que peuvent se construire des programmes. On en a construit autour du Covid. Ils ont été très aidants sur la vaccination. On en a construit également sur la santé mentale, autour d’un certain nombre d’éléments comme ça.

Donc, construire une logique de coalition qui vient compléter la logique de régulation. Et à partir de là, je voudrais développer un peu plus cinq points qui me paraissent importants, sur une intervention de santé publique qui veut réguler, intervenir un peu sur les inégalités.

  • Le premier, c’est que l’intervention sur les déterminants sociaux de santé, est une intervention qui peut être extrêmement concrète, contrairement à ce que, parfois, on pense. C’est concret dans le champ des compétences de l’Agence. Nous avons, par exemple, une intervention prioritaire sur les questions du saturnisme et de l’habitat indigne, qui relève de nos compétences parce que nous considérons que c’est une action importante de santé publique et nous considérons que nous devons mettre des moyens sur la lutte contre l’habitat indigne, qui est un déterminant de santé absolument majeur.

 

Mais au-delà de ça, il y a également un certain nombre de stratégies et de plaidoyers, sur lesquels je vais donner deux exemples. Dans le champ de la périnatalité, on a, par exemple, beaucoup travaillé sur la question des politiques publiques qui, en matière d’hébergement, matière de logement, peuvent permettre de réduire le nombre de situations de femmes enceintes sortant de maternité sans logement ou sans hébergement, qui est une situation dramatique mais qui n’est pas marginale en Île-de-France.

 

De la même manière, lorsque nous avons été confrontés, il y a quelques années, à une surmortalité néonatale et infantile en Seine Saint-Denis, nous avons mené une action, un programme qui permettait, qui visait à réduire cette surmortalité à travers une intervention qui mobilisait le système de soins, mais qui mobilisait aussi tout le système social, tout le système, à la fois, d’hébergement, de soutien social, des habitants, des habitantes, particulièrement, de ce département.

Finalement, on peut intervenir sur les déterminants, y compris par des logiques de plaidoyers qui, dans certains cas, font leur preuve, et qui ne sont pas des logiques de lobbying ou simplement d’affichage.
 

  • Le deuxième point, évidemment, c’est qu’il est nécessaire que les programmes de santé publique, et en particulier les programmes de promotion de la santé, tiennent compte des inégalités autour d’un principe assez simple : tout programme qui, au départ, ne tient pas compte des inégalités, va avoir comme effet d’augmenter ces inégalités. Ça veut dire qu’il faut, par construction, dans tout programme, réfléchir, d’abord, à qu’est-ce que nous faisons qui permet de mettre en œuvre ce qu’on appelle l’universalisme proportionné, qui permet, aujourd’hui, d’atteindre de manière plus importante, les habitants qui en ont le plus besoin.

 

L’exemple le plus frappant qu’on puisse connaître, c’est le dépistage du cancer. On sait que si on ne développe pas des programmes de porte-à-porte et des programmes d’« aller vers », des programmes de sensibilisation adaptés, on a des contrastes et on voit que, parfois, à quartiers comparables, le taux de dépistage du cancer du sein, par exemple, peut varier du simple au double en fonction de la capacité qu’ont eu certaines associations ou qu’ont eu les pouvoirs publics d’aller vers des femmes plus éloignées du dépistage que par d’autres.

  • Le troisième point, évidemment, c’est ce qu’on appelle l’approche communautaire. Je crois qu’une des conséquences du Covid, c’est de se rendre compte que cette approche communautaire, ce n’est pas, là encore, une espèce de dogme, une espèce de généralité. Mais on a vu des choses qui se mettaient en place durant le Covid, les habitants se sont organisés, ont mis en place ce qu’on pourrait appeler une espèce d’auto-défense populaire contre l’épidémie, et ont appris à mettre en œuvre des démarches de santé avec lesquelles il faut qu’on apprenne à travailler mieux, avec lesquelles, il faut qu’on apprenne à faire alliance. Et c’est un peu ça, aujourd’hui, la santé communautaire, c’est travailler avec des associations. On a aujourd’hui tout un programme qui s’appelle « Santé ensemble », avec une lettre, etc… qui permet de valoriser l’action des acteurs de terrain.
  • Et puis le quatrième point, évidemment, c’est le rôle de la contractualisation. Contractualiser, ce n’est pas forcément faire du papier, c’est s’engager dans des programmes partagés. Et je donnerai rapidement trois exemples en Île-de-France.
    Les Contrats locaux de santé qui sont, pour nous, un pilier majeur de l’action de l’Agence, puisque ça permet de travailler avec les services du préfet, mais surtout avec les collectivités locales dans des programmes choisis et partagés ensemble.

 

Mais aussi, la contractualisation avec des grands acteurs comme l’ANRU, dans le champ de la Politique de la Ville. Et la contractualisation, aussi, avec, par exemple, quelque chose qui peut sembler plus éloigné, les Jeux Olympiques. Nous travaillons, aujourd’hui, avec les délégations de Jeux Olympiques pour que les futurs Jeux Olympiques en Île-de-France, soient facteurs d’une promotion de la santé équitable et pas uniquement une promotion de la santé, on va dire, relativement uniforme.

  • Et puis, le dernier point qu’on oublie parfois trop souvent, c’est de se tenir au courant. La santé publique est une discipline qui avance, dans laquelle les connaissances avancent. On a, par exemple, à l’occasion du Covid, mesuré de manière plus nette, dans certains pays à l’étranger, et c’est probablement valable en France, le rôle que peut jouer la précarité locative. Le fait du risque d’expulsion, le fait d’être hébergé chez un tiers, le fait, non pas d’être dans un habitat à la rue ou insalubre mais d’être dans une inquiétude locative, avait un effet sur la santé très net sur la santé mentale, mais aussi sur le Covid. Et ça, c’est ce qu’on appelle des avenues d’actions importantes parce que lutter contre les inégalités, c’est aussi lutter contre les conséquences sur la santé de ce genre de difficulté.

Aujourd’hui, nous avions un Projet régional de santé très axé sur la question des inégalités. Nous en élaborons un nouveau qui sera, à coup sûr, également très centré sur ces sujets-là.

Ressources documentaires

Bibliographie

Bibliographie de l'interview et ressources pour aller plus loin

E-parcours en promotion de la santé