Participation des habitants : un impératif de santé publique dans l'élaboration des interventions en promotion de la santé franciliennes

photo Annie Serfaty

La crise sanitaire actuelle montre l’importance d’être à l’écoute du terrain, pour permettre une proximité dans l’évaluation des besoins, dans l’expression des difficultés des habitants et inciter à l’accompagnement pour co-élaborer une réponse adaptée. C’est en ce sens que l’ARS IdF tend à développer des processus « d’aller vers », de « médiation » pour les populations les plus éloignées du système de santé.

Annie Serfaty
Médecin de santé publique et Responsable du Département Méthodologie, Innovation, Participation des Habitants, Direction de la Santé Publique (DSP) à l'ARS Ile de France

Avec la participation d’Evelyne Jean-Gilles, Patrick Arrighi et Christian Laborda, tous trois chargés de projet au Département Méthodologie Innovation Participation des Habitants (DSP), de Yann Hemon, responsable du Département Education Thérapeutique du Patient (DSP) et de Gwendal Bars, Chef de projet CLS/CLSM/Politique de la ville au Département Contractualisations territoriales et Santé Urbaine (DSP) et Lise Janneau, Directrice Adjointe, DSP

Introduction

En France comme dans d’autres pays, le modèle délibératif de l’action publique s’est transformé depuis les années 70 [1] . Le mouvement associatif ainsi que celui des associations de malades est à l’origine d’une transformation des modes d’intervention, tant dans le processus d’élaboration des politiques publiques en santé que dans leur mise en œuvre. Ce mouvement a émergé en France dès les années 80, plus particulièrement, suite à la mobilisation des associations de lutte contre le Sida, puis celles impliquées dans la réduction des risques chez les usagers de drogue. Ce mouvement s’inscrit dans l’impulsion donnée par la Santé Communautaire dès la fin des années 70 / début des années 80 en France, en 1970 au Québec, en 1974 au Royaume Uni [2] .

En avril 1996, les usagers sont auditionnés dans le cadre de la préparation des ordonnances dites Juppé. Les ordonnances Juppé et le décret du 2 novembre 1998 officialisent la représentation des usagers dans les conseils d’administration des établissements de santé. De même, une circulaire de 1996 mentionne la participation des usagers à l’élaboration des programmes régionaux de santé (PRS) et en 1998, deux autres textes incluent les usagers dans l’élaboration des schémas régionaux d’organisation sanitaires (SROS) [3] .

La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, est une étape importante dans l’institutionnalisation de la participation citoyenne, à travers notamment, les Conférences Régionales de santé, la conférence Nationale de santé et les instances comme, les commissions des relations avec les usagers dans les établissements de santé.
Cette institutionnalisation s’inscrit plus particulièrement dans un processus d’agrément et de représentativité des associations. Cependant, la prise en compte des usagers, des habitants au plus près de leur environnement de vie dans l’esprit de la Charte d’OTTAWA pour les accompagner à développer le pouvoir d’agir pour promouvoir leur santé et celle de leur proche est insuffisamment développée. C’est à ce titre, qu’un des axes de transformation du Projet Régional de Santé (2018 – 2022) (PRS)  est venu renforcer la participation directe des habitants de quartiers populaires.

Les enjeux de la participation des habitants dans l'action de l'Agence

La participation des habitants usagers citoyens est un enjeu majeur de la politique de santé publique de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile de France.

La notion de « participation des habitants usagers citoyens » nécessite d’être précisée. Utilisée par Jean-Michel Fourniau, une grille québécoise distingue quatre niveaux de participation :

  • La Communication, c’est ce qui permet d'énoncer et d'expliquer ; vise à faire adhérer aux choix ; peut se limiter à une simple information, ou susciter des réactions (information et rétro-information) ;
  • La Consultation, c’est ce qui permet de soumettre à discussion des propositions ; vise à obtenir des éléments avant d’effectuer des choix.
  • La Concertation, c’est ce qui permet d'élaborer une solution en collaboration avec les acteurs concernés ; vise la recherche de solutions communes ou de connaissances nouvelles.
  • La Codécision, c’est ce qui permet de partager la décision avec les intervenants ; implique la négociation pour rechercher un accord.

Une des premières grilles sur la participation, a été élaborée par une chercheuse américaine Sherry R. Arnstein[4] , en 1969, pour mesurer le pouvoir du citoyen selon trois niveaux d’implication :

  • Pouvoir effectif du citoyen
  • Coopération symbolique
  • Non-participation

Cette implication peut s’opérer sous différentes modalités : notamment consultation publique, débat public, jurys citoyens, conférence publique de consensus, ateliers de scenarios, forums hybrides, focus groupes ou groupes de discussion.

Les actions de l'Agence

Les orientations du PRS2

La participation des Habitants, usagers, citoyens, est déclinée dans l’Axe 4 du PRS intitulé « Permettre à chaque francilien d’être acteur de sa santé et des politiques publiques de santé » et s’applique au Projet régional d’Accès à la prévention et aux soins (PRAPS). La participation des habitants devient une modalité transversale d’intervention en santé publique. Le PRS vise à faire en sorte que :

  • « Des Franciliens soient mieux et plus équitablement informés sur la santé, sur les façons de la préserver, sur les droits et l’accès au système de santé, et sur son utilisation optimale.
  • Des citoyens soient capables de décider, d’agir pour leur santé et d’influencer leurs conditions de vie, contribuant à l’amélioration de l’état de santé physique et mental, y compris pour ceux éloignés du débat public.
  • La généralisation des patients-experts pour différentes maladies chroniques, usagers-formateurs pour différents types d’acteurs : patients, professionnels du soin, professionnels de l’accompagnement à l’emploi et de l’insertion sociale.
  • Des actions de prévention et de promotion de la santé plus efficaces, prenant en compte les savoirs et l’expertise des bénéficiaires (à la fois les personnes et les familles), dans une approche de santé communautaire.
  • Des citoyens et usagers plus impliqués dans l’élaboration et le suivi des politiques de santé régionales, avec comme corollaire une réduction des écarts de santé, ainsi que dans la politique de gestion des risques.
  • Des représentants d’usagers ayant un vrai statut dans les différentes instances de concertation, plus à même d’influencer les débats et de participer à l’amélioration de l’efficacité du système de santé. »

La participation des Habitants, usagers, citoyens, dont la finalité est de soutenir l’« empowerment des personnes » est précisée dans l’axe de transformation 4.3 « Développer le pouvoir d’agir des habitants par l’information de proximité ».

Les actions déjà développées

Plusieurs réalisations, s’intéressant à la participation directe des habitants, peuvent être listées ci-dessous :

  • La participation des habitants à la préparation du PRS : une consultation pour évaluer les besoins en santé, dans le cadre de l’élaboration du PRS : Entre 2017 et 2018, des habitants ont été associés à une expérimentation conduite dans huit quartiers populaires pour recueillir l’expression des besoins de groupes d’habitants issus de quartiers populaires. Ces travaux ont été conduits par la Fédération des associations de médiation sociale et culturelle (LaFédé) qui a mobilisé son réseau d’associations. Deux publications sont disponibles sur le site de l’Agence[5]  : une réalisée par l’équipe projet ARS, qui décrit la méthodologie du dispositif participatif et la prise en compte de la parole habitante dans le PRS ; la deuxième, produite par LaFédé, rapporte les verbatim des habitants sur l’expression de leurs besoins ainsi que leurs perceptions sur la politique de santé.
  • Une démarche participative de concertation et de codécision dans le cadre d’une recherche action émancipatrice (RAE)[6]  sur l’information de proximité en santé, dans les suites des travaux préparatifs au PRS. Entre septembre 2018 et décembre 2019, un protocole pour une recherche action émancipatrice (R.A.E.) ayant impliqué les habitants, a été élaboré pour faciliter l’accès à l’information de proximité. Cette démarche est coordonnée par LaFédé, avec l’appui de deux chercheurs R. Cortesero et G. Cotti des Ateliers Spinoza, et l’ARS IdF (Direction de la santé publique et Direction de la Démocratie Sanitaire) qui ont mobilisé des associations de médiation sociale et culturelle.  A partir de la question de recherche « Comment améliorer la diffusion de l’information de proximité en matière de santé dans les quartiers populaires ? », une expérimentation est mise à l’épreuve du terrain par cinq associations de médiation sociale et culturelle, membres de LaFédé, qui ont mobilisé des habitants volontaires. Des projets en proximité du lieu de vie des habitants ont émergé pour répondre aux problématiques identifiées et sont en cours d’élaboration.
  • La participation des « patients intervenant » dans la construction d’une nouvelle forme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) en médecine de ville ; l’« Accompagnement thérapeutique de proximité (ATP) ». L’URPS médecins libéraux Ile-de-France et l’ARS Ile-de-France ont signé en juillet 2017 un protocole d’accord dont l’une des actions vise à expérimenter une modalité d’ETP adaptée à la pratique en médecine libérale, l’ATP [7] [8]  . Ce projet constitue un dispositif expérimental multi-partenarial avec l’URPS, le Pole Ressource ETP, l’IRDES et l’ARS Ile de France par le biais d’un contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel.
  • La participation des habitants à l’épreuve des coopératives d’acteurs (CA) : Le 15 novembre 2019, une 1ère Journée d’étude sur la participation des habitants au sein des Coopératives d’acteurs s’est tenue à la cité de refuge-centre Espoir (Armée du Salut), organisée par l’ARS IDF (département méthodologie, innovation, participation des habitants/DSP) avec la collaboration de : Promotion Santé IDF, Institut Théophraste Renaudot (IR), LaFédé, Institut de Promotion de la Santé de Saint-Quentin-en-Yvelines, Pôle de ressources Ile-de-France en Education Thérapeutique (ETP), ainsi qu’avec l’ensemble des Délégations Départementales, et des partenaires, parties prenantes des CA, y compris les habitants. Cette journée a réuni plus de 100 personnes, avec les principaux partenaires institutionnels, les professionnels impliqués, des élu-e-s, des acteurs de terrain et des habitants. L’objectif était de porter à la réflexion collective, les modalités de participation des habitants ainsi que celles utilisées en pratique sur le terrain. Les actes sont disponibles depuis septembre 2020 retraçant ainsi l’ensemble des réflexions des acteurs et des partenaires[9] et reprenant les différentes phases de cette journée : 1) une partie introductive pour présenter les enjeux de la participation des habitants en promotion de la santé ; 2) une partie d’échanges autour de posters élaborés par les CA, d’ateliers de réflexion ; 3) une séance plénière, avec une restitution des réflexions en ateliers et une table ronde avec cinq témoins (chercheuse, universitaire, médiatrice, élue, usager), dont la mission était de mettre en perspectives conceptuelles et opérationnelles les réflexions qui ont émergé des échanges de la journée.
  • L’implication des usagers / patients intervenant dans le partage des connaissances et des savoirs d’expérience : En 2020, l’ARS a mis en place une formation à destination des professionnels de l’Agence, en position de décideur.se.s ou de chargé.e.s de mission, sous forme d’un cycle de six séminaires de formation aux fondamentaux de la méthodologie en santé publique : de la construction des connaissances à l’aide à la décision, à partir des données probantes en promotion de la santé. Ces sessions sont coordonnées par l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)[10]  avec un panel d’enseignants interinstitutionnels et impliquant des usagers.
  • L’information de proximité et la COVID-19 : des ressources documentaires mises à la disposition des professionnels de terrain, intervenant auprès des habitants. En mars avril 2020, devant les difficultés pour adopter des comportements de prévention, notamment les mesures barrières avec la distanciation physique, le port du masque, l’accès au dépistage et à la prise en charge, ainsi que les difficultés liées à l’accès à l’information adaptée à chaque personne au plus près du lieu de vie, l’Agence a souhaité mettre à la disposition des intervenants de terrain et partenaires associatifs, un tableau de ressources accompagné d’une note sur l’information de proximité, élaborée avec des partenaires associatifs.  La version 3 du 13 août 2020 est disponible sur le site de l’Agence[11] .
  • La participation des habitants dans le cadre des Contrats Locaux de Santé (CLS) et les Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM) : une participation des habitants à l'échelle d'un territoire : L'évaluation de la première génération de CLS (2018) a montré que la participation des habitants permet d'améliorer la compréhension de l'environnement local en renforçant le pouvoir d'agir des habitants, mais également une meilleure pertinence et une plus grande légitimité des actions conduites dans le cadre des CLS. L'ARS Ile-de-France promeut la participation des habitants-usagers-citoyens dans les démarches territoriales par ses outils méthodologiques et référentiels que sont le référentiel CLS [12]  de 2016 et le cahier des charges CLSM [13] . La participation y est promue tant à titre individuel (focus group, consultations, participation aux décisions individuelles concernant la personne) que par les associations locales ou associations d'usagers. La participation d'une ou plusieurs associations d'usagers des services de psychiatrie ou de leurs proches est ainsi une des conditions centrales de l'émergence d'un CLSM et de son financement par l'ARS.
  • L’enquête réalisée par l'ARS IdF, en collaboration avec le Collectif Santé Ville IdF et Promotion Santé IdF auprès des coordonnateurs des CLS et CLSM au premier semestre 2020 constate toutefois que, si une dynamique et une volonté d'accentuer la participation des habitants existent chez les porteurs de démarches territoriales en santé, celle-ci est confrontée à plusieurs freins : matériels, méthodologiques, et des représentations négatives de la part de certains professionnels.
En conclusion

L’opportunité d’organiser des rencontres avec les habitants des quartiers favorise une véritable participation et l’émergence des besoins, tenant compte de leur environnement de vie.

Les démarches d’implication des habitants ont depuis longtemps permis de montrer l’intérêt de mobiliser les communautés concernées autour de problématiques territoriales afin de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. Ces démarches ne sont pas nouvelles et sont intégrées aux missions de santé communautaire.

Depuis une vingtaine d’années, la place du citoyen dans les politiques publiques de santé s’est développée à travers l’émergence et le renforcement d’une mobilisation associative mais aussi d’une demande citoyenne. Si la démocratie sanitaire a pris une place importante dans le système de santé, depuis la loi du 4 mars 2002, en favorisant la représentation des usagers, la place de la participation directe des publics aux politiques sociales et de santé est l’enjeu actuel dans les actions en promotion de la santé.

Les principes énoncés dans la charte d’Ottawa de 1986, d’aller à la rencontre des habitants, de les faire participer, restent à promouvoir dans les interventions en santé publique.

La crise sanitaire actuelle montre l’importance d’être à l’écoute du terrain, pour permettre une proximité dans l’évaluation des besoins, dans l’expression des difficultés des habitants et inciter à l’accompagnement pour co-élaborer une réponse adaptée. C’est en ce sens que l’ARS IdF tend à développer des processus « d’aller vers », de « médiation » pour les populations les plus éloignées du système de santé.

Ressources documentaires

Bibliographie

Bibliographie de l'interview d'Annie Serfaty

Groupe de personnes débattant

Dossier Participation des habitants-usagers-citoyens

Notes: